En Bolivie, les féministes mettent en garde contre des changements qui pourraient conduire à un renversement de la loi sur la violence.

Juin 5, 2024 | Notre pays

Des centaines d’organisations féministes boliviennes ont rejeté les modifications proposées par des sénateurs pro-gouvernementaux à la loi 348, officiellement connue sous le nom de loi garantissant aux femmes une vie sans violence, qui, selon elles, visent à faire reculer « le droit des victimes de violence à accéder à la justice ».

Ils se réfèrent à un projet de loi proposé par la sénatrice du Movimiento al Socialismo (MAS) Patricia Arce visant à modifier l’article 94 de la norme 348, qui, s’il est approuvé, donnerait au ministère public huit jours pour « rassembler les preuves nécessaires » afin de déterminer si la violence dénoncée par la femme peut être prouvée.

En outre, il est proposé que, dans les cas de violence sexuelle, un groupe d’experts, après avoir écouté la victime dans une chambre gesell (une pièce équipée d’un miroir espion qui permet d’observer les gens sans les voir), détermine la véracité de son témoignage, qui devrait à son tour être corroboré par « d’autres moyens de preuve ».

« Ce qui nous inquiète, c’est que nous pensions avoir obtenu gain de cause dans la société bolivienne sur la question de la violence fondée sur le genre. En d’autres termes, ils pouvaient s’inquiéter du fait que la loi sur la parité n’ait pas changé la politique, ou discuter de la santé sexuelle et génésique, du fait qu’il n’y ait toujours pas de consensus social sur la mise en œuvre de l’éducation sexuelle dans les écoles, mais nous pensions qu’il y avait un consensus social pour criminaliser et punir la violence par le biais du système judiciaire. Il s’avère que ce consensus est aujourd’hui remis en question », a déclaré à Efeminista Lourdes Montero, experte pour la Bolivie auprès du Comité du mécanisme de suivi de la convention de Belém do Pará (Mesecvi).

Les modifications, qui ont également été rejetées par le gouvernement par l’intermédiaire du ministère de la justice, n’ont pas encore été mises en œuvre, mais sont en cours d’analyse au sein du corps législatif bolivien.

Les arguments en faveur d’une modification de la loi sur la violence

M. Montero explique que cette modification que le Sénat a l’intention d’apporter a été accompagnée de trois arguments qui éclairent les intentions de l’auteur de la proposition et de ceux qui soutiennent les modifications.

« Le premier argument était qu’il s’agit d’une loi qui détruit les familles, qui monte les hommes et les femmes les uns contre les autres. Le deuxième argument était qu’il s’agit d’une loi anti-hommes, c’est ainsi qu’ils l’ont appelée, en particulier le président du Sénat. Et le troisième argument était que la loi viole le principe de la présomption d’innocence, que seule la femme dénonce et que l’homme va en prison. Aujourd’hui, il est difficile de la mettre en œuvre et, avec les modifications qu’ils proposent, elle serait absolument impossible à mettre en œuvre », déclare-t-il.

Le sénateur Andrónico Rodríguez a déclaré que la loi était « anti-hommes », que les hommes étaient considérés comme des ennemis et qu’il « savait » que son application donnait lieu à « de nombreux abus ».

Toutefois, les organisations de défense des droits de la femme ont déclaré que ces déclarations étaient fondées sur des arguments « décontextualisés » et des « généralisations » qui manquent de preuves.

« La loi est accusée d’abus à l’encontre des accusés, bien que de nombreux arguments se réfèrent plutôt à une mauvaise application par certains opérateurs de la justice, à laquelle se sont joints des groupes conservateurs et anti-droits », ont-ils ajouté dans une déclaration.

« On a l’impression que nous, les femmes, dépassons les bornes. C’est ce qu’on nous a dit. Et que nous utilisons la loi 348 pour faire du chantage, pour nuire aux hommes », déplore Mme Montero, qui affirme que, si ces discours et ces actions la surprennent, ils ne sont pas très éloignés de ce qui se passe déjà dans d’autres pays de la région.

« Nous assistons à une tentative de changement de nom du ministère de la femme en Équateur, en Uruguay il y a eu des reculs sur plusieurs questions, en Argentine (le président Javier) Milei a pratiquement effacé plusieurs des avancées institutionnelles et des réalisations des femmes argentines. Nous ne considérons donc pas ce qui se passe en Bolivie comme un événement isolé, mais plutôt comme une articulation et une intentionnalité régionales très inquiétantes », souligne-t-elle.

Violence à l’encontre des femmes en Bolivie

 

Les chiffres de la violence à l’égard des femmes en Bolivie illustrent la nécessité de cette loi, explique l’expert du Mesecvi. « Nous recevons en moyenne 40 000 plaintes par an pour violence en vertu de la loi 348. Le nombre de plaintes a augmenté parce que les femmes ne tolèrent manifestement plus que leurs droits soient violés. Avant, il y avait un silence complice de la part de la société », dit-elle.

En outre, dit-il, les différentes formes de violence sont désormais mieux reconnues, comme la violence psychologique ou numérique, mais surtout la violence sexuelle, dont le nombre de signalements « a doublé au cours des dernières années ».

« La Bolivie est un petit pays qui ne connaît pas de graves problèmes de criminalité comme nos voisins, mais c’est l’un des pays où les taux de violence à l’égard des femmes sont les plus élevés. Il y a plus de fémicides que de crimes pour d’autres causes, parce qu’il est normal que les fémicides représentent un pourcentage plus faible de tous les crimes contre les personnes dans la société […]. Cela nous amène à penser que nous sommes dans un processus de changement et que c’est nous, les femmes, qui payons la facture », déplore Mme Montero.

C’est pourquoi les organisations féministes estiment qu’il est essentiel que la nécessité de réformes globales du système judiciaire, qui mettraient fin à l’impunité dont les femmes sont également victimes, soit au centre de la conversation.

Dans tout le pays, 99,3 % des cas de violence sexiste restent impunis en raison du rejet, de l’abandon ou du classement des plaintes, selon les chiffres compilés par la société civile.

« Elles sont confrontées à un système profondément patriarcal, qui les juge, qui les fait se sentir mal. C’est-à-dire qu’il y a tout un jugement a priori sur ceux qui devraient rendre la justice, et je parle aussi bien de la police que des juges et des procureurs. Nous dénonçons depuis longtemps l’existence d’une corruption structurelle dans le système judiciaire bolivien, ce qui signifie que les juges et les procureurs font payer les victimes pour poursuivre les affaires ou font payer l’auteur pour le laisser en liberté ou le laisser dehors », déclare Montero.